Ce que l'écologie fait à la politique - La chine, une puissance verte ?
- Anna Gicquel
- 30 juin 2022
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 26 mars 2024
Depuis un demi-siècle, l’écologie a modifié en profondeur l’arène politique dans le monde. Elle l’irrigue, la contourne, s’y confronte. Qu'en est-il de la Chine ?
La Chine est aujourd’hui le lieu d’une crise environnementale inédite par son ampleur et sa fulgurance. En effet, sa politique d’ouverture lancée en 1978 y a enclenchée une industrialisation et une urbanisation sans précédent: s’y sont concentrés en seulement quatre décennies les mêmes impacts environnementaux que ceux qui se sont déployés sur près de deux siècles en Europe, en Amérique du Nord ou encore au Japon. Or, si la Chine reste aujourd'hui l'un des plus gros pollueurs mondiaux, elle est également en possession d'entreprises puissantes notamment en matière d'énergies renouvelables et multiplie les projets environnementaux, à tel point que le pays se trouve qualifié de "puissance verte". Mais est-ce bien judicieux ? Développer l'économie verte suffit-il à faire de la Chine cette "puissance verte" dont on parle si aisément ? Est-il bien pertinent de qualifier ainsi la Chine alors que le pays émet encore 9,8 millions de tonnes de CO2 par an et en subit sévèrement les conséquences ? Pour répondre à ces questions, nous étudierons d'abord les principales causes et conséquences de cette crise environnementale chinoise. Nous nous intéresserons ensuite aux principales mesures prises par Pékin pour remédier à cette crise. Enfin, nous étudierons limites de et à cette politique environnementale chinoise.
D'abord, si nous nous représentions les chinois masqués bien avant la pandémie, c'est que la Chine bat, avec l'Inde (1), tous les records en terme de pollution atmosphérique dans ses grandes métropoles, fréquemment recouvertes d'un nuage toxique d'une ampleur extrême: à Harbin, par exemple, la concentration en particules a atteint 1000 microgrammes par mètre cube en 2013, soit 40 fois plus que le seuil de 25 microgrammes recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
De plus, le nord du pays est touché par la désertification. Selon Jean-François Huchet, chercheur à l'Inalco et auteur de La crise environnementale en Chine, "depuis 1949(1), ce sont 129 000 kilomètres carrés du territoire chinois qui ont été gagnés par le désert."
Cette désertification s'accompagne d'une sévère pénurie d'eau: sur les 660 grandes villes que compte la Chine, 440 sont concernées et 50% des villes chinoises ont accès à une eau qui ne correspond pas aux normes de l'OMS.
Le sud du pays est, quant à lui, constamment menacé par des inondations.
Dès lors, protéger l'environnement devient un enjeu majeur de cette Chine du XXIème siècle, frappée de plein fouet par le changement climatique. Il s'agit d'un enjeu d'autant plus important qu'il freine sont développement et nuit à son positionnement dans les relations internationales, l'environnement étant devenu un enjeu mondial. C'est d'ailleurs pourquoi, lors du retrait des Etats-Unis de l'Accord de Paris, la Chine s'est empressée d'assurer qu'elle tiendrait pour sa part ses engagements. L'année du sommet, la Chine investit également 110,5 milliards de dollars dans les énergies renouvelables. Ainsi, elle a pu développer des filières industrielles puissantes en matière d'énergie éolienne, solaire et surtout en terme de véhicule électrique avec Build Your Dreams, deuxième constructeur de voiture électrique du monde, derrière Tesla.
Dans le cadre du plus vaste projet écologique du monde qu'est la "grande muraille verte de Chine", le pays mène aussi une politique forestière conséquente. Ainsi, en 2009, la plantation de forêt a portée sa superficie forestière de 12% à 18%, en faisant la plus grande forêt artificielle du monde et plaçant le pays au 5ème rang mondial pour sa superficie forestière.
Selon le gouvernement chinois, le pays aurait également construit près de 2750 réserves naturelles. Toutefois, si ces réserves semblent bénéfiques au panda géant, mascotte du pays, qui est passé de "en danger" à "vulnérable" sur la liste rouge de l'Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), elles ne semblent pas l'être pour le reste de la biodiversité. En effet, selon une étude chinoise, le léopard, la panthère des neige ou encore le loup ont presque disparu de ces aires protégées chinoises, créées spécifiquement pour la conservation du panda géant.
Enfin, l'organisation institutionnelle chinoise même freine le "verdissement" du pays. En effet, si l'Etat autoritaire chinois est souvent décrit comme tout puissant, ses institutions sont en réalité très largement décentralisées. Des fractures fortes existent ainsi entre son gouvernement central et les gouvernements locaux, qui opposent une importante résistance: les plans chinois de plus en plus ambitieux en terme d'objectifs environnementaux ne constituent en réalité que des lignes directrices non contraignantes pour les politiques locales. Ainsi, le consensus atteint au niveau central peut ne pas se retrouver aux échelons inférieurs. On doit d'abord cette fracture à Mao (2), dont la politique isolationniste (3) a entrainé des choix économiques et industriels néfastes pour l'environnement et qui ont conduit à la décentralisation des institutions chinoises. En effet, craignant une guerre contre les Etats-Unis où l'URSS, Mao entraîne le pays dans une politique d'autosuffisance aussi bien à l'échelle internationale que locale. Inspirée d'une stratégie de guérilla militaire, chaque région industrielle chinoise devait être autonome sur le plan industriel et agricole, limitant ainsi les risques de déstabilisation de l'ensemble du pays en cas d'attaque militaire de grande ampleur.
S'ajoute à cela un fort lobbying de la part des entreprises d'exploitation du charbon, tandis que 60% de la production en électricité du pays dépend encore de la consommation du charbon.
En définitive, il apparaît que la Chine contribue fortement au changement climatique dont elle subit aussi sévèrement les conséquences. Ses politiques et son offre industrielle pèse cependant favorablement sur l'agenda écologique mondial. Et, pour Richard Balme, professeur à Sciences Po, "il est probable qu'elle devienne rapidement la première puissance de l'économie verte. Mais en raison de sa démographie, de sa croissance ainsi que de la fracture entre ses politiques locales et nationale, la durabilité de son développement restera encore pour longtemps un horizon plus qu'une réalité".
Notes
1) Selon Le Monde, New-Delhi est aujourd'hui la ville la plus polluée du monde, distançant nettement Pékin, 15e dans le classement et 35 des 50 villes les plus polluées au monde se trouvent en Inde.
2) L'année 1949 est souvent prise pour repère car le 1er octobre est proclamée la République populaire de Chine.
Pour aller plus loin: https://www.institutmontaigne.org/blog/les-paradoxes-de-la-revolution-verte-chinoise
Comments