top of page

L'article 16 de la Constitution, un pouvoir à la discrétion du Président de la République ?

Dernière mise à jour : 26 mars 2024

Dans un article intitulé « Vider l'article 16 de son venin : les pleins pouvoirs sont-ils solubles dans l'Etat de droit contemporain ? », parut dans la Revue française de droit constitutionnel en 2008, Sébastien Platon, professeur en droit public à l'Université de Bordeaux, présente l'article 16 de la constitution comme obsolète. Et il est vrai qu'il hérite d'un contexte de crise politique et institutionnelle, auquel le gouvernement de De Gaulle décide de remédier par l'avènement d'un nouveau régime en 1958. Cette crise s'explique d'abord par la prééminence du Parlement sur le pouvoir exécutif, consacrée par la Constitution de la IVème République (1946-1958). En effet, le Gouvernement ainsi que le président de la République procédaient alors tous deux du Parlement. Dès lors, ce-dernier disposait d'un fort pouvoir de contrôle de la politique du gouvernement et pouvait se permettre d'engager fréquemment sa responsabilité (1). En outre, s’il arrivait qu’une majorité puisse s’accorder pour renverser l’équipe gouvernementale en place, il était plus difficile qu’une autre majorité s’accorde sur la désignation d’un nouveau gouvernement. Cette situation politique conduisait à de longues et paralysantes crises ministérielles favorisées par le mode de scrutin proportionnel (2), qui contribuait à l’émiettement de la représentation politique et l’absence de majorités politiques stables. Ainsi, la IVème République connait-elle plus de gouvernements que d'années, au point que l'on parle de "valse des ministères": en treize ans, plus de vingt gouvernements se sont succédés ! Aussi De Gaulle manifeste-t-il, dès 1946, la volonté de rééquilibrer les pouvoirs au profit de l'exécutif et notamment du chef de l'Etat, dont les fonctions étaient jusqu'alors surtout honorifiques. Pour ce faire, la Constitution de la Vème République consacre à ce dernier des pouvoirs propres. Ces pouvoirs propres sont dispensés du contreseing ministériel, contrairement à la logique du régime parlementaire: traditionnellement, les actes présidentiels sont contre-signés par le Premier ministre et les ministres concernés par ces actes. Ces derniers en endossent alors la responsabilité à la place du chef de l'Etat. Ainsi, le président de la République est imperméable aux contingents politiques qui peuvent secouer l'Assemblée nationale. Parmi ces pouvoirs propres, on trouve notamment l'article 16 de la Constitution. Il s'agit de confier au Président de la République les pleins pouvoirs en cas de circonstances particulièrement graves. Ainsi, le 23 avril 1961, alors qu'un putsch à Alger menace de nuire aux efforts de décolonisation (3), De Gaulle demande la mise en œuvre de ce pouvoir exceptionnel. Cette unique utilisation de l'article révèle une certaine faiblesse des conditions enserrant ce pouvoir quasi-discrétionnaire confié au seul Chef de l’État en tant que pouvoir propre (I). Toutefois, au regard de plusieurs évolutions contemporaines, le régime des pouvoirs exceptionnels de l'article 16 semble aujourd'hui quelque peu anachronique et difficile à mettre en œuvre (II).

I. Un pouvoir propre du PDR

A) Un pouvoir dans la logique présidentialiste du régime de la Ve République

Déjà dans son discours de Bayeux du 16 juin 1946, De Gaulle entend faire du Chef de l’État la « clé de voûte » des institutions de la Vème République. Pour autant, il souhaite conserver la tradition parlementaire française. En ce sens, l'exécutif demeure bicéphale mais se voit déséquilibré par l'attribution de pouvoirs propres au président de la République. En effet, le régime parlementaire traditionnel suppose l'irresponsabilité politique du président de la République. Pour la garantir, les actes pris par le Chef de l’État sont en principe contre-signés par le Premier ministre, qui endosse dès lors la responsabilité de ce premier. Ainsi, dans le cadre du régime parlementaire, les fonctions du président de la République sont souvent d'avantage honorifiques que fonctionnelles. Toutefois, les constituants de 1958 font le pari audacieux de faire du chef de l'Etat la pièce maîtresse du jeu institutionnel d'un régime qu'ils souhaitent pourtant parlementaire. Pour ce faire, des pouvoirs propres lui sont accordés : les actes pris dans le cadre de ces pouvoirs ne nécessitent pas le contreseing du gouvernement et pose dès lors la question de l'irresponsabilité présidentielle, prévue à l'article 57 de la Constitution. D'ailleurs, le régime de la Vème République est qualifié de régime "mixte" ou "semi-présidentiel". Parmi ces pouvoirs propres, on trouve l'article 16, qui se voit ainsi opposer ce caractère propre, conférant au Président de la République un pouvoir quasi discrétionnaire. En effet, les conditions qui lui sont assorties se révèlent relativement faibles, au point d'être partiellement ignorées lors de sa seule mise en œuvre, en 1961, par De Gaulle lui-même.


B) La faiblesse des conditions enserrant la mise en œuvre de l'article 16

La mise en œuvre de l'article 16 obéit à un certain nombre de conditions de fond et de forme.

S'agissant des conditions de fond, il faut d'abord que les institutions de la République, l'intégrité du territoire ou l'exécution des engagements internationaux soient menacés gravement et immédiatement.

Une deuxième condition cumulative à la première s'impose : il faut que le fonctionnement régulier des pouvoirs publiques soit interrompu. Cela suppose que le Parlement et le gouvernement soient hors d'état de pouvoir exercer leurs compétences.

Si la mise en œuvre de l'article 16 de la Constitution nécessite donc des conditions exceptionnelles, la pratique envisage ces conditions de manière relativement flexible. En effet, le 23 avril 1961, De Gaulle demande la mise en œuvre de l'article 16 alors qu'un putsch militaire menace de nuire aux efforts de décolonisation. Il s'agit certes d'une menace grave mais elle n’attente pas au fonctionnement régulier des institutions.

S'agissant des conditions de forme, le Chef de l’État est tenu de consulter le Premier ministre, les présidents des deux assemblées et le Conseil constitutionnel. Toutefois, leurs avis ne lient en rien ce premier, qui est donc libre de ne pas en tenir compte.

Le Président de la République doit également expliquer au peuple français, par voie de message, les raisons l'amenant à mettre en œuvre l'article 16.

Il apparaît que ces conditions de forme ne sont en rien restrictives et plus que dérisoires face à l'étendue des pouvoirs accordés au chef de l’État en situation de crise. En effet, l'article 16 dispose que ce dernier peut prendre « toutes les mesures exigées par les circonstances », tant que celles-ci ont pour objet de rétablir le fonctionnement régulier des institutions. Par conséquent, il lui est possible d'intervenir dans tous les domaines de l'action étatique, à l'exception du pouvoir constituant. Il conserve alors son pouvoir exécutif, auquel vient s'ajouter le pouvoir législatif et même judiciaire, dans l'hypothèse de la mise en place de tribunaux d'exception. Dès lors, les conditions enserrant l'article 16 apparaissent relativement flexibles et cela d'autant plus au regard de la pratique qui en a été faite par le Général de Gaulle en 1961, en dépit du caractère cumulatif de ses conditions de fond.

Toutefois, au vu de plusieurs évolutions contemporaines, le régime des pouvoirs exceptionnels de l'article 16 semble aujourd'hui quelque peu anachronique et difficile à mettre en œuvre face au développement des droits fondamentaux protégés et affirmés par les juridictions nationales mais aussi internationales.


II. Un relatif contrôle durant l'exercice de l'article 16 par le Président de la République

A) Un relatif contrôle du Parlement et du Conseil constitutionnel

L'article 16 dispose que le Parlement se réunit de plein droit durant l'exercice des pouvoirs exceptionnels du Président. Par conséquent, il peut poursuivre ses missions, parmi lesquelles celle de contrôler l'action du gouvernement, en vertu de l'article 24. Toutefois, une motion de censure (4) ne peut être déposée à l'encontre du gouvernement. En contrepartie, le Président de la République se voit confisqué son pouvoir de dissoudre l'Assemblée Nationale (art 12 Constitution). Dès lors, le Parlement constitue un relatif contre-pouvoir à l'exercice par le Chef de l’État des pleins pouvoirs que lui confie l'article 16.

En outre, depuis une réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, après 30 jours, les Présidents des deux assemblées ou 60 sénateurs et 60 députés peuvent saisir le Conseil constitutionnel qui vérifiera si les conditions de l'article 16 sont toujours réunies. Et, après 60 jours, le Conseil constitutionnel peut procéder de lui-même à cette vérification. Son avis est également requis pour chaque décision prise par le Chef de l’État dans le cadre de l'article 16.

Pour autant, il ne s'agit toujours que d'avis consultatifs.

B) L'affirmation des droits fondamentaux par les juridictions nationales et internationales comme limite à la mise en œuvre de l'article 16

Le régime des pouvoirs exceptionnels de l'article 16, posé en 1958 et précisé à l'occasion de sa seule utilisation en 1961, semble assez anachronique au regard de plusieurs évolutions ultérieures du droit français. La plus importante de ces évolutions est sans doute le développement des droits fondamentaux protégés et affirmé par l'abondante jurisprudence du Conseil constitutionnel.

En outre, la ratification de la Convention européenne des droits de l'Homme en 1974, puis l'acceptation du droit de recours individuel devant la Cour européenne des droits de l'Homme en 1981, confèrent une dimension supranationale à la garantie des droits fondamentaux.

Enfin, le Conseil constitutionnel a acquis un rôle de gardien des droits fondamentaux, loin d'être évident en 1958. En effet, le Conseil n'avait pas vocation à devenir une véritable cour de justice constitutionnelle. En 1958, la doctrine et la classe politique restent attachées à cette culture juridique française héritée de la Révolution de 1789, traditionnellement peu encline à admettre des limitations au pouvoir législatif, envisagé comme l'expression de la volonté du peuple : s'opposer à la loi revient alors à s'opposer au peuple. Par conséquent, il est inenvisageable de contrôler la constitutionnalité des lois. Dès lors, il s'agit moins de garantir les droits fondamentaux des citoyens que de surveiller que le pouvoir législatif n'empiète pas sur le domaine réglementaire du pouvoir exécutif, au point que, dans ses premières années, on qualifiera le Conseil de « chien de garde de l'exécutif ». Désormais que le Conseil constitutionnel a acquis un rôle de gardien des droits fondamentaux, il est plus difficile d'admettre le rôle restreint auquel le cantonne l'article 16...


Notes


1) Responsabilité politique: En vertu de l'article 67 de la Constitution, le président de la République est irresponsable politiquement. Cette irresponsabilité est garantie par l'apposition sur les actes du président de la République du contreseing du Premier ministre et des ministres concernés par ces actes. Dès lors, la responsabilités des actes présidentiels est endossée par ces derniers, qui peuvent être désavoués par les députés tandis que le chef de l'Etat se voit placé au dessus des contingents politiques qui peuvent secouer l'Assemblée nationale. Ce dernier peut ainsi assurer sa fonction d'"arbitre" neutre, chargé de trancher d'éventuels conflits entre le gouvernement et la chambre basse (article 5 Constitution). Cette fonction présidentielle découle de la volonté des constituants de 1958 d'éviter une crise institutionnelle, à l'instar de celle qui met fin au régime de la IVème République, en séparant d'avantage les pouvoirs exécutif et législatif.


2) Scrutin proportionnel: il s'agit d'un système de vote dans lequel le nombre de siège à pourvoir est réparti au prorata du nombre de voix obtenu.

Le scrutin proportionnel ne concerne que les élections pour des listes de candidats (scrutin de liste).

Pour répartir les voix, on définit un quotient électoral, qui correspond au nombre de voix pour obtenir un siège. On divise ensuite le total des voix obtenu par chaque liste par le quotient électoral pour déterminer le nombre de sièges emportés par chaque liste.

Sous la Vème République, les députés sont élus au scrutin uninominal majoritaire, et non plus par liste.


3) Putsch d'Alger: Le 21 avril 1961, une partie des militaire de carrière de l'armée française en Algérie tente un coup d'Etat, en réaction à la politique menée par Charles de Gaulle et son gouvernement, qu'ils considèrent comme une politique d'abandon de l'Algérie française.


4) Motion de censure: En vertu de l'article 49 alinéa 2 de la Constitution, la motion de censure dite "spontanée" permet à l'Assemblée nationale d'engager la responsabilité du gouvernement. Son dépôt nécessite la signature d'au moins 58 députés. Si le nombre de signatures requis est obtenu, un vote doit avoir lieu dans les 3 jours. La motion de censure doit alors réunir les voix de la majorité absolue des membres composant l'Assemblée nationale, soit au moins la voix de 289 députés sur 577.

En cas d'adoption d'une motion de censure, le Premier ministre doit remettre au président de la République la démission de son Gouvernement (art 50).

Posts récents

Voir tout

Comments


bottom of page