Rencontre - En salle, une fresque sociologique ? Un manifeste communiste ?
- Anna Gicquel
- 17 déc. 2022
- 2 min de lecture
Dernière mise à jour : 26 mars 2024
Dans le cadre du Prix du Roman des étudiants, j'ai eu la chance de rencontrer l'autrice de En salle, Claire Baglin.
Dans ce premier roman, l'autrice raconte, en deux récits alternés, l'écart entre une enfance marquée par la figure d'un père ouvrier et les vingt ans d'une femme dans un fastfood, « où elle rencontre la répétition des gestes, le corps mis à l'épreuve, le vide, l'aliénation » (résumé du livre). De par son sujet même, certains commentateurs ont rapproché En salle du genre de l'autosociobiographie et, en ce sens, de l'œuvre d'Annie Ernaux, ainsi que d'éminents sociologues tels que Didier Eribon; des personnalités aux idées également toujours proches du communisme.
Toutefois, à la surprise générale, Claire Baglin dénie la dimension sociologique ainsi que politique qu'on prête à son roman. D'ailleurs, elle n'a lu aucun livre de sociologie, si ce n'est une partie de l’œuvre de Simone Veil. Selon elle, il est avant tout question de la complexité des sentiments enfantins et de la rudesse du travail en fastfood.
Suite à cette déclaration déconcertante, on a commencé à lui reprocher une certaine hypocrisie. N'avait-elle pas déclaré s'intéresser à la littérature prolétarienne ? N'était-elle pas fille d'ouvrier à l'instar de son personnage principal ? N'avait-elle pas même donné son nom à ce personnage ?
Les réponses de Claire Baglin furent plus étonnantes les unes que les autres. En effet, si elle finit par avouer que Didier Eribon était dans sa bibliographie de départ, elle maintint que la dimension sociologique de son roman était au mieux secondaire.
En outre, l'autofiction lui semble un genre bien éloigné de son œuvre qui reste un "roman". D'ailleurs, son projet de départ consistait en une enquête à la frontière du réalisme et du fantastique. La narratrice ne devait alors pas parvenir à sortir du fastfood dans lequel elle travaille. De ce premier projet, on peut trouver quelques vestiges dans la version finale du livre, notamment cette fuite d'eau dont l'origine et l'intérêt au sein de l'intrigue demeurent un mystère jusqu'à la fin et pour l'autrice elle-même.
Demeure la question du nom : pourquoi avoir donné son nom à la narratrice du roman s'il ne s'agit pas d'une autobiographie ou d'une autofiction ? La réponse de l'autrice fut étonnamment brève à ce sujet tandis qu'elle s'était jusqu'alors montrée intarissable: elle avait choisi ce prénom parce qu'il convenait lorsque la question de nommer son personnage principal s'était posée.
Peut-être l'autrice ne se sent-elle tout simplement pas légitime à décrire toute une classe sociale et préfère-t-elle ne pas démêler les éléments de son roman relevant de la fiction de ceux inspirés de sa vie privé pour des raisons évidentes...
En tout cas, Claire Baglin remet finalement son roman aux mains des lecteurs, qui peuvent dès lors le vider de sa substance ou l'enrichir au contraire, et même en faire une fresque sociologique ou encore un manifeste communiste !
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